2. Rappels théoriques et formules
Le transfert de chaleur dans un échangeur thermique implique l'échange d'énergie entre deux fluides à des températures différentes à travers une paroi. La quantité de chaleur échangée ($Q$) dépend des propriétés des fluides, de leurs débits et de la surface d'échange.
2.1. Bilan énergétique
La chaleur échangée par un fluide est donnée par :
Le débit massique ($\dot{m}$) peut être calculé à partir du débit volumique ($\dot{V}$) et de la masse volumique ($\rho$) :
Dans un échangeur idéal, la chaleur cédée par le fluide chaud ($\dot {Q_h}$) est égale à la chaleur reçue par le fluide froid ($\dot {Q_c}$).
En pratique, des pertes thermiques vers l'environnement existent. On calcule généralement une chaleur échangée moyenne ($\dot{Q_{moy}}$) et on évalue les pertes :
$$ \dot {Q_h} = \dot{m}_h \cdot c_{p,h} \cdot (T_{he} - T_{hs}) $$
$$ \dot {Q_c} = \dot{m}_c \cdot c_{p,c} \cdot (T_{fs} - T_{fe}) $$
$$ \dot{Q_{moy}} = \frac{Q_h + Q_c}{2} $$
$$ \text{Pertes} = \left| \frac{\dot{Q_h} - \dot{Q_c}}{\dot{Q_{moy}}} \right| \times 100\% $$
Des pertes acceptables sont généralement inférieures à 5-10%. Si les pertes sont trop importantes, cela peut indiquer un problème de mesure ou d'isolation du système.
2.2. Différence de Température Moyenne Logarithmique (LMTD)
La force motrice du transfert de chaleur est la différence de température entre les deux fluides. Cette différence varie le long de l'échangeur. Pour un échangeur à double tube ou à plaques simple, on utilise la différence de température moyenne logarithmique ($\Delta T_{ml}$ ou LMTD).
Les différences de température aux extrémités ($\Delta T_1$ et $\Delta T_2$) dépendent de la configuration de l'écoulement :
- Pour un échangeur en contre-courant (les fluides circulent en directions opposées) :
$$ \Delta T_1 = T_{he} - T_{fs} $$
$$ \Delta T_2 = T_{hs} - T_{fe} $$
Le contre-courant est généralement plus efficace car il permet d'atteindre une température de sortie du fluide froid ($T_{fs}$) supérieure à la température de sortie du fluide chaud ($T_{hs}$), ce qui est impossible en co-courant.
- Pour un échangeur en co-courant (les fluides circulent dans la même direction) :
$$ \Delta T_1 = T_{he} - T_{fe} $$
$$ \Delta T_2 = T_{hs} - T_{fs} $$
Le co-courant est moins efficace mais peut être utilisé dans des cas spécifiques.
La LMTD est alors calculée par :
$$ \Delta T_{ml} = \frac{\Delta T_1 - \Delta T_2}{\ln\left(\frac{\Delta T_1}{\Delta T_2}\right)} $$
Cette formule n'est valide que pour des cas simples (double tube, plaques simple passe). Pour des configurations plus complexes, des facteurs de correction peuvent être nécessaires, mais ne seront pas abordés dans ce TP.
Si $\Delta T_1 = \Delta T_2$, alors $\Delta T_{ml} = \Delta T_1 = \Delta T_2$.
2.3. Coefficient global de transfert de chaleur ($U$)
Le taux de transfert de chaleur peut également être exprimé en fonction du coefficient global de transfert de chaleur ($U$),
de la surface d'échange ($A$) et de la LMTD :
$$ \dot{Q_{moy}} = U \cdot A \cdot \Delta T_{ml} $$
À partir des mesures expérimentales, on peut donc calculer le coefficient global de transfert de chaleur :
$$ U = \frac{\dot{Q_{moy}}}{A \cdot \Delta T_{ml}} $$
Le coefficient $U$ [W/(m$^2$·K)] représente la résistance globale au transfert de chaleur à travers la paroi et les couches limites des fluides.
Un $U$ élevé indique un échange thermique efficace. Il dépend du type d'échangeur, des matériaux, des propriétés des fluides et des conditions d'écoulement (débits).
2.4. Méthode $\varepsilon$-NUT
La méthode $\varepsilon$-NUT (Efficacité - Nombre d'Unités de Transfert) est particulièrement utile pour le dimensionnement et l'analyse des performances d'échangeurs, surtout lorsque les températures de sortie sont inconnues. Elle utilise le concept d'efficacité ($\varepsilon$), qui est le rapport de la chaleur réellement transférée à la chaleur maximale théoriquement transférable.
Les capacités thermiques des fluides sont :
$$ C_h = \dot{m}_h \cdot c_{p,h} $$
$$ C_c = \dot{m}_c \cdot c_{p,c} $$
On définit les capacités thermiques minimale ($C_{min}$) et maximale ($C_{max}$) :
$$ C_{min} = \min(C_h, C_c) $$
$$ C_{max} = \max(C_h, C_c) $$
Et le rapport des capacités thermiques ($C_r$) :
$$ C_r = \frac{C_{min}}{C_{max}} $$
La chaleur maximale théoriquement transférable ($Q_{max}$) se produirait si le fluide avec la capacité thermique minimale subissait le changement de température maximal possible, qui est la différence entre les températures d'entrée des deux fluides ($T_{he} - T_{fe}$) :
$$ Q_{max} = C_{min} \cdot (T_{he} - T_{fe}) $$
L'efficacité ($\varepsilon$) est définie comme :
$$ \varepsilon = \frac{Q_{moy}}{Q_{max}} = \frac{Q_{moy}}{C_{min} \cdot (T_{he} - T_{fe})} $$
L'efficacité est une valeur sans dimension comprise entre 0 et 1. Elle indique à quel point l'échangeur se rapproche de l'échange thermique idéal.
Le Nombre d'Unités de Transfert ($NUT$) est un autre paramètre sans dimension qui caractérise la taille thermique de l'échangeur. Il est défini par :
$$ NUT = \frac{U \cdot A}{C_{min}} $$
Un $NUT$ élevé indique un échangeur de grande taille ou un coefficient $U$ élevé, favorisant un transfert de chaleur important.
Il existe des relations théoriques entre $\varepsilon$, $NUT$ et $C_r$ qui dépendent de la configuration de l'échangeur (co-courant, contre-courant, etc.). Pour les configurations de ce TP :
- Pour un échangeur en co-courant ($C_r \ne 1$) :
$$ \varepsilon_{cc} = \frac{1 - e^{-NUT(1+C_r)}}{1 + C_r} $$
- Pour un échangeur en contre-courant ($C_r < 1$) :
$$ \varepsilon_{ctc} = \frac{1 - e^{-NUT(1-C_r)}}{1 - C_r \cdot e^{-NUT(1-C_r)}} $$
- Pour un échangeur en contre-courant ($C_r = 1$) :
$$ \varepsilon_{ctc, C_r=1} = \frac{NUT}{1 + NUT} $$
Ces relations permettent de comparer l'efficacité expérimentale ($\varepsilon$ calculé à partir des mesures de température) avec l'efficacité théorique ($\varepsilon$ calculé à partir du $NUT$ et $C_r$ expérimentaux), offrant ainsi une validation des mesures et des modèles.
4. Manipulations expérimentales détaillées
Pour chaque manipulation, il est crucial d'attendre que le système atteigne un régime stationnaire avant de relever les mesures.
Cela signifie que les températures et les débits doivent être stables sur une période de temps suffisante.
Manipulation 1 : Réglage des Offsets des sondes de température
Objectif : Assurer la précision des mesures de température, essentielle pour des calculs de bilan énergétique fiables.
Procédure :
- Passer de l'eau température ambiante stable dans le dispositif pour les deux échangeurs étudiés et surveiller les valeurs affichées des températures (entrées/sorties fluide chaud et froid), ainsi que le thermomètre étalon.
- Laisser les lectures se stabiliser.
- Noter la température affichée par chaque sonde ($T_\text{affichée}$) et la température indiquée par le thermomètre étalon ($T_\text{étalon}$).
- Calculer l'offset pour chaque sonde :
$$ \text{Offset} = T_\text{étalon} - T_\text{affichée} $$
- Répéter l'opération avec un passage d'eau chaude (par exemple, autour de 50-60°C) si possible, pour vérifier la linéarité des sondes.
- Pour les calculs ultérieurs, utiliser les températures corrigées ($T_{corr}$) :
$$ T_{corr} = T_{affichée} + \text{Offset} $$
Si les offsets sont significatifs (supérieurs à $\pm 0.2$ °C), il est impératif d'appliquer cette correction.
Manipulation 2 : Étude comparative des deux échangeurs (à plaques et tubulaire) à débits égaux
Objectif : Comparer les performances des deux types d'échangeurs dans des conditions opératoires identiques et servir de point de référence pour les manipulations ultérieures.
Procédure :
- Sélectionner l'échangeur à plaques et configurer les vannes pour un écoulement en contre-courant.
- Démarrer les pompes et régler les débits volumiques à : $\dot{V}_h = 25 \ \text{L/min}$ et $\dot{V}_c = 25 \ \text{L/min}$.
- Démarrer l'unité de chauffe pour le fluide chaud (par exemple, régler la température d'entrée du fluide chaud $T_{he}$ autour de 50-60 °C). Il ne faut dépasser 80°C pour ne pas endommager le groupe de chauffe.
- Laisser le système atteindre le régime stationnaire.
- Relever les températures corrigées aux quatre points : $T_{he}, T_{hs}, T_{fe}, T_{fs}$. Noter également les débits précis affichés.
- À partir de ces mesures, calculer :
- Les débits massiques $\dot{m}_h$ et $\dot{m}_c$.
- Les chaleurs échangées par chaque fluide, $Q_h$ et $Q_c$.
- La chaleur échangée moyenne $Q_{moy}$ et les pertes thermiques.
- Les différences de température aux extrémités $\Delta T_1$ et $\Delta T_2$ pour le contre-courant.
- La LMTD, $\Delta T_{ml}$.
- Le coefficient global de transfert de chaleur, $U$.
- Les capacités thermiques $C_h, C_c, C_{min}, C_{max}$ et $C_r$.
- L'efficacité expérimentale, $\varepsilon_{exp}$.
- Le $NUT$.
- L'efficacité théorique $\varepsilon_{ctc}$ en utilisant le $NUT$ et $C_r$ expérimentaux. Comparer $\varepsilon_{exp}$ et $\varepsilon_{th}$.
- Répéter les étapes 1 à 6 pour l'échangeur tubulaire, toujours en configuration contre-courant et avec les mêmes débits ($\dot{V}_h = \dot{V}_c = 25 \ \text{L/min}$).
- Documenter soigneusement toutes les mesures et les résultats calculés dans un tableau.
Manipulation 3 : Influence du débit du fluide froid (liquide à chauffer)
Objectif : Étudier comment la variation du débit d'un fluide affecte les performances de l'échangeur, notamment $U$ et $\varepsilon$.
Procédure :
- Sélectionner l'échangeur à plaques et maintenir la configuration en contre-courant.
- Fixer le débit du fluide chaud à $\dot{V}_h = 25 \ \text{L/min}$.
- Faire varier le débit du fluide froid ($\dot{V}_c$) selon les valeurs suivantes : $15, 20, 25, 30, 35 \ \text{L/min}$.
- Pour chaque valeur de $\dot{V}_c$, attendre le régime stationnaire et relever les températures corrigées ($T_{he}, T_{hs}, T_{fe}, T_{fs}$) ainsi que les débits précis.
- Pour chaque point de mesure, calculer : $Q_h, Q_c, Q_{moy}$, les pertes, $\Delta T_{ml}$, $U$, $C_h, C_c, C_{min}, C_{max}, C_r$, $\varepsilon_{exp}$, $NUT$, et $\varepsilon_{ctc, th}$.
- Documenter les résultats dans un tableau.
- Répéter les étapes 1 à 6 pour l'échangeur tubulaire.
- Représenter graphiquement l'évolution de $U$, $\varepsilon_{exp}$, et des pertes en fonction du débit $\dot{V}_c$ pour chaque type d'échangeur.
Manipulation 4 : Simulation d'un traitement de pasteurisation - Détermination d'un débit cible
Objectif : Appliquer les principes étudiés pour déterminer les conditions opératoires nécessaires (débit de fluide froid) pour atteindre une température de sortie cible, simulant un processus de pasteurisation.
Contexte : On souhaite pasteuriser un produit (assimilé à de l'eau) en le chauffant de sa température d'entrée ($T_{fe}$) à une température de sortie cible ($T_{fs, cible}$). On dispose d'un fluide chaud à une température d'entrée ($T_{he}$) et d'un débit fixe ($\dot{V}_h$). On utilise l'échangeur à plaques en contre-courant.
Paramètres fixés :
- Échangeur : Plaques, contre-courant
- Température d'entrée fluide chaud : $T_{he} \approx 80 \ \text{°C}$
- Température d'entrée fluide froid : $T_{fe} \approx 20 \ \text{°C}$ (température de l'eau du réseau)
- Débit volumique fluide chaud : $\dot{V}_h = 25 \ \text{L/min}$
- Température de sortie fluide froid cible : $T_{fs, cible} = 63 \ \text{°C}$ (exemple de température de pasteurisation basse)
Procédure :
- Mettre en place l'échangeur à plaques en contre-courant.
- Régler le débit du fluide chaud à $\dot{V}_h = 25 \ \text{L/min}$ et la température d'entrée $T_{he}$ à environ 80 °C. Laisser le fluide froid circuler à son débit maximum initial (par exemple, 35 L/min) jusqu'à stabilisation pour éviter la surchauffe.
- Mesurer les températures $T_{he}, T_{fe}$ et $T_{hs}$ une fois le régime stationnaire atteint avec un débit de fluide froid initial (par exemple, 35 L/min).
- Calculer la chaleur cédée par le fluide chaud ($Q_h$) en utilisant les mesures de $T_{he}, T_{hs}$ et $\dot{m}_h$.
- En utilisant le pourcentage de pertes déterminé lors de la Manipulation 2 (pour l'échangeur à plaques à débits égaux, ou une estimation raisonnable), estimer la chaleur reçue par le fluide froid ($Q_{c, estimée} = Q_h \cdot (1 - \text{Pertes}/100)$).
- Utiliser l'équation du bilan énergétique pour le fluide froid ($Q_{c, estimée} = \dot{m}_c \cdot c_p \cdot (T_{fs, cible} - T_{fe})$) pour calculer le débit massique de fluide froid ($\dot{m}_c$) nécessaire pour atteindre la température cible $T_{fs, cible}$.
- Convertir ce débit massique $\dot{m}_c$ en débit volumique $\dot{V}_c$ cible en utilisant la masse volumique.
- Ajuster progressivement le débit du fluide froid sur l'installation pour qu'il se rapproche du débit $\dot{V}_c$ cible calculé. Laisser le système se stabiliser à chaque ajustement.
- Lorsque le débit du fluide froid est proche du débit cible, relever les quatre températures ($T_{he}, T_{hs}, T_{fe}, T_{fs}$) et les débits précis.
- Vérifier si la température de sortie du fluide froid mesurée ($T_{fs}$) est proche de la température cible ($T_{fs, cible}$).
- Calculer les performances de l'échangeur pour ce point de fonctionnement ($Q_{moy}$, pertes, $U$, $\varepsilon$, $NUT$).
- Comparer le débit $\dot{V}_c$ mesuré au débit $\dot{V}_c$ cible calculé initialement. Discuter des écarts et des sources d'erreur possibles.
6. Conclusion
Ce TP a permis d'explorer les principes fondamentaux du transfert de chaleur dans les échangeurs thermiques et d'évaluer expérimentalement les performances de deux types d'échangeurs couramment utilisés en agroalimentaire : à plaques et tubulaire.
Nous avons pu constater que les performances des échangeurs sont effectivement influencées de manière significative par leur conception (plaques vs tubulaire), la configuration de l'écoulement (illustrée par la différence de LMTD et les relations $\varepsilon$-NUT en co/contre-courant, bien que seul le contre-courant ait été principalement étudié ici), et les conditions opératoires, notamment les débits des fluides.
Le coefficient global de transfert de chaleur ($U$) et l'efficacité ($\varepsilon$) se sont avérés être des indicateurs pertinents pour quantifier ces performances. L'analyse de l'influence du débit a montré l'importance d'optimiser les conditions de fonctionnement pour maximiser le transfert de chaleur tout en considérant les aspects énergétiques et économiques (pertes de charge).
La méthode $\varepsilon$-NUT a fourni un cadre théorique précieux pour valider les mesures expérimentales et comprendre le comportement des échangeurs. La simulation de pasteurisation a illustré comment les principes étudiés peuvent être appliqués à des problèmes concrets de l'industrie agroalimentaire, soulignant l'importance de la précision des données et des modèles pour le dimensionnement et le contrôle des procédés.
En perspective, il serait intéressant d'étudier l'influence de la température d'entrée du fluide chaud ($T_{he}$), d'explorer la configuration co-courant pour comparaison directe, d'analyser l'impact de l'encrassement sur les performances au cours du temps, ou d'utiliser des fluides non newtoniens pour mieux simuler des produits agroalimentaires spécifiques.
Ce TP renforce la compréhension du rôle essentiel des échangeurs thermiques dans les opérations unitaires de l'agroalimentaire et l'importance d'une approche rigoureuse pour leur sélection, leur dimensionnement et leur optimisation.